Le monde de l’épargne française connaît des remous.
Alors que le Livret A, placement préféré des Français, voit son encours diminuer, le Livret d’Épargne Populaire (LEP) tire son épingle du jeu.
Cette situation inattendue bouleverse les habitudes des épargnants et soulève des questions sur l’avenir de ces produits financiers.
En octobre 2024, les Français ont massivement retiré de l’argent de leurs Livrets A, créant une décollecte nette de 1,94 milliard d’euros. Ce phénomène, bien que saisonnier, interpelle par son ampleur. Dans le même temps, le LEP affiche une santé étonnante, avec des dépôts supérieurs aux retraits. Que se passe-t-il donc dans le paysage de l’épargne réglementée ?
Le Livret A en difficulté : une tendance inquiétante ?
Le mois d’octobre est traditionnellement un mois de décollecte pour le Livret A. Les dépenses liées à la rentrée, la taxe foncière et les régularisations d’impôts poussent souvent les épargnants à puiser dans leurs économies. Cependant, l’ampleur de la décollecte en octobre 2024 mérite qu’on s’y attarde.
Un retrait massif des épargnants
Avec une décollecte nette de 1,94 milliard d’euros, le Livret A connaît son cinquième mois d’octobre le plus décollecteur depuis 15 ans. Cette situation n’est pas isolée, puisque le Livret de Développement Durable et Solidaire (LDDS) suit la même tendance avec une décollecte de 640 millions d’euros.
Au total, l’encours cumulé des Livrets A et LDDS a diminué de 2,58 milliards d’euros, pour atteindre 581,8 milliards d’euros. Ces chiffres, bien qu’impressionnants, doivent être nuancés : la décollecte reste moins importante que l’année précédente à la même période.
Les raisons de cette baisse
Plusieurs facteurs expliquent cette situation :
- Les dépenses saisonnières (rentrée scolaire, impôts) qui poussent les épargnants à puiser dans leurs économies
- La perspective d’une baisse des taux en 2025, qui pourrait inciter certains à chercher des placements plus rémunérateurs
- Un retour progressif à la normale après les années de crise sanitaire qui avaient vu une épargne forcée importante
Le LEP : l’étoile montante de l’épargne réglementée
Contrairement au Livret A, le Livret d’Épargne Populaire affiche une santé étonnante. En octobre 2024, les dépôts sur ce produit ont dépassé les retraits de 210 millions d’euros. Comment expliquer cette résistance du LEP face à la tendance générale ?
Un taux attractif qui séduit les épargnants
Le principal atout du LEP réside dans son taux de rémunération particulièrement attractif. Fixé à 4% depuis le début de l’année, il surpasse largement celui du Livret A (3%). Cette différence significative attire naturellement les épargnants éligibles, soucieux de maximiser le rendement de leur épargne.
Un plafond relevé qui ouvre de nouvelles possibilités
En plus de son taux avantageux, le LEP a bénéficié d’une mesure favorable : le relèvement de son plafond de 7 700 à 10 000 euros. Cette augmentation permet aux épargnants de placer davantage d’argent sur ce support rémunérateur, renforçant son attrait.
Un public cible moins impacté par les dépenses saisonnières
Le LEP s’adresse aux ménages modestes, souvent locataires et moins touchés par la taxe foncière. Cette caractéristique explique en partie sa résistance aux retraits massifs observés sur le Livret A en octobre. Les détenteurs de LEP, moins sollicités par certaines dépenses saisonnières, peuvent continuer à alimenter leur épargne.
L’avenir des livrets d’épargne : vers une baisse des taux en 2025
Si la situation actuelle semble favorable au LEP, l’horizon 2025 pourrait apporter son lot de changements pour l’ensemble des produits d’épargne réglementée.
Une baisse annoncée pour le Livret A et le LDDS
Selon les prévisions, le taux du Livret A et du LDDS devrait passer de 3% à 2,5% au 1er février 2025. Cette baisse s’explique par plusieurs facteurs :
- Un ralentissement significatif de l’inflation, passée sous la barre des 2% en août 2024 et atteignant 1,1% en octobre 2024
- La formule de calcul du taux, basée pour moitié sur l’évolution des prix du semestre précédent et pour l’autre moitié sur le taux appliqué aux prêts à court terme entre les banques européennes (ster)
- L’impact des trois baisses des taux directeurs de la Banque centrale européenne en 2024 sur le taux ster
Eric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, a confirmé cette tendance : « À partir du 1er février 2025, le taux du Livret A devrait baisser d’au moins 0,5 point, passant à 2,5%. »
Le LEP concerné par la baisse
Le Livret d’Épargne Populaire n’échappera pas à cette tendance baissière. Son taux pourrait passer de 4% à 3% en 2025. Cependant, le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre pour ajuster ce taux :
- Le taux théorique du LEP, calculé avec l’inflation d’octobre, est de 2,9%
- Les pouvoirs publics pourraient choisir de ne pas suivre strictement la formule de calcul pour maintenir l’attractivité du produit
- Une dérogation pourrait être accordée, comme ce fut le cas en janvier 2024 lorsque la Banque de France a recommandé un taux de 5%
Les enjeux pour les épargnants et l’économie française
Cette évolution des taux d’épargne réglementée soulève plusieurs questions importantes pour les épargnants et l’économie dans son ensemble.
Un rendement réel positif, une première depuis 2009
Malgré la baisse annoncée des taux, une bonne nouvelle se profile pour les épargnants : le rendement réel des produits d’épargne réglementée, après déduction de l’inflation, devrait rester positif. Cette situation, inédite depuis 2009, représente une véritable opportunité pour les détenteurs de ces livrets.
Avec une inflation prévue à 1,5% pour 2025 selon les projections de la Banque de France, même un Livret A à 2,5% offrira un rendement réel positif. Cette perspective pourrait encourager les Français à maintenir, voire à augmenter leur épargne sur ces produits.
L’impact sur les comportements d’épargne
La baisse des taux, bien que modérée, pourrait néanmoins influencer les comportements des épargnants :
- Certains pourraient être tentés de diversifier leur épargne vers des produits potentiellement plus rémunérateurs mais aussi plus risqués
- D’autres pourraient au contraire privilégier la sécurité offerte par les livrets réglementés, malgré la baisse de rendement
- Le LEP pourrait gagner en popularité auprès des ménages éligibles, grâce à son taux qui restera supérieur à celui du Livret A
Les défis pour le gouvernement
Face à cette situation, le gouvernement devra relever plusieurs défis :
- Maintenir l’attractivité de l’épargne réglementée tout en tenant compte du contexte économique
- Encourager l’épargne des ménages modestes, notamment via le LEP
- Trouver un équilibre entre la rémunération de l’épargne et le financement du logement social et de la politique de la ville, qui bénéficient d’une partie des fonds collectés
Perspectives et pistes d’évolution
Alors que 2025 approche, plusieurs pistes sont envisagées pour l’avenir de l’épargne réglementée en France :
Une possible revalorisation du LEP
Pour protéger le pouvoir d’achat des épargnants modestes et stimuler l’épargne, le gouvernement pourrait envisager une revalorisation du taux du LEP au-delà des 3,5% prévus. Un taux autour de 4% ou plus n’est pas à exclure, surtout si l’inflation venait à repartir à la hausse.
Des mesures fiscales incitatives
Des ajustements fiscaux pourraient être mis en place pour renforcer l’attractivité des livrets réglementés :
- Une réduction ou exonération d’impôts sur les intérêts du LEP
- Des avantages fiscaux supplémentaires pour encourager l’épargne de long terme
Élargissement de l’accès au LEP
Pour permettre à davantage de Français de bénéficier des avantages du LEP, le gouvernement pourrait assouplir les critères d’éligibilité. Une augmentation du plafond de revenu pour ouvrir un LEP serait une option à considérer.
L’évolution de l’épargne réglementée en France reste un sujet complexe, influencé par de nombreux facteurs économiques et politiques. Si la baisse des taux annoncée pour 2025 soulève des interrogations, elle s’inscrit dans un contexte de ralentissement de l’inflation qui pourrait, paradoxalement, préserver le pouvoir d’achat des épargnants. Le LEP, avec sa résistance inattendue, pourrait bien devenir le nouveau chouchou des Français soucieux de faire fructifier leur épargne en toute sécurité. Reste à voir comment le gouvernement et les institutions financières s’adapteront à ces nouvelles dynamiques pour continuer à encourager une épargne saine et bénéfique à l’économie nationale.